Interview de Degiheugi, The Beat Conceiver

Mardi dernier… Je profite d’une matinée sans cours pour émerger tranquillement, un œil sur les gros titres qui défilent à la TV et l’autre rivé sur mon écran d’ordinateur. Un bon moment que je navigue ici et là quand un clip du metteur en scène et scénariste DaBrainkilla attire mon attention, il annonçait : Stop/Go Motion, 2562 Photos… 4 mois de travail, 2 ou 3h par jours, pas de budget mais beaucoup de café !

Je lance et bonne surprise, le clip illustre parfaitement la musique abstract hip-pop d’un artiste que je ne connais pas mais qui semble de qualité, Degiheugi.

L’ami Google m’informe immédiatement que ses morceaux sont disponibles gratuitement sur le net, je ne demandais pas mieux ! Le temps de boire un café pendant le téléchargement des trois albums et je pouvais m’asseoir tranquillement afin d’écouter ce qui deviendrait un véritable coup de cœur…

Intrigué par cet artiste qui proposait trois opus de grande qualité en téléchargement gratuit, je décidais d’en savoir plus sur l’homme. Le soir même, Degiheugi acceptait de me confier son enfance, ses méthodes de travail ou encore son regard sur l’industrie du disque:

Peux-tu nous dire en quelques lignes d’où tu viens? De quel milieu, quel gamin étais-tu, ton éducation culturelle, ce à quoi tu aspirais quand tu deviendrais ‘grand’?
Je suis originaire de Saint-Malo, une petite ville de Bretagne. Je viens d’un milieu très modeste, père maçon, mère femme de ménage… Bref, ce n’était pas la fête tous les jours… J’ai grandi en HLM, mais mes parents ont toujours tout fait pour que l’on soit bien mes sœurs et moi, avec leurs moyens bien sûr… Mais ils nous ont donné une bonne éducation, et de ça je les remercie. Sinon, j’étais un gamin… comment dire?! La caricature du petit branleur de quartier! Nerveux, sans trop de respect, à faire toutes les conneries qu’il ne fallait pas faire. J’ai mis longtemps à me calmer! J’ai arrêté l’école vers 15 ans. Apprentissage en métallerie… Chômage très jeune… Mais après je me suis bougé, j’ai repris mes études. Pour enfin finir infographiste, et ça je t’assure que c’est plus sympa que métallier! Quant à mon éducation culturelle, bah… j’ai grandi avec la télé et les jeux vidéos! Je n’ai pas lu beaucoup de bouquins dans ma vie! Mais je suis quelqu’un de très curieux, avec une grosse soif d’apprendre. Je m’intéresse à beaucoup de choses… Pour le dernier point, quand je serais grand… je serais riche! Plus sérieusement, je voulais vivre de ma musique mais je me suis fait une raison au fil des années, et je pense que je n’étais pas assez motivé, et surtout pas assez soutenu. Pour mon entourage, c’était plutôt ‘trouve un job et tu feras de la musique après!‘. Je suis maintenant très satisfait de faire ça pour le kiff’, et j’ai ma vie d’à côté qui me satisfait pleinement.

Degiheugi, c’est ton premier nom? Pourquoi Degiheugi?
Ouais ce nom que personne n’arrive à dire! Bon j’aurais su que ça marcherait un peu pour moi, j’aurais choisi un autre blaze… Mais c’est un délire entre potes ce nom… Avant j’étais DJ dans un groupe de rap… Mon nom c’était Djej, parce que j’étais DJ et mon prénom c’est Jérome, mes amis m’appelant Jej ou Jéjé… Voilà, et du coup, en disant lettre par lettre, ça fait D.J.E.J… Je l’ai écrit de façon impossible : Degiheugi!
Ouf! L’explication à deux euros!

On peut lire dans la biographie de ton site perso : ‘Des ciseaux, une partition, et hop, je coupe des notes!’. Si je ne me trompe, éclectisme fait partie intégrante de ton processus de création. On peut d’ailleurs identifier James Brown, Wendy Rene ou encore Ennio Morricone au sein de tes derniers morceaux. Comment s’organise l’articulation de tous ces samples? Comment crées-tu un morceau en général?
En général, je trouve un sample soit une boucle entière, ou soit je construis une boucle avec plusieurs samples, ou le même coupé dans tout les sens et rejoué différemment. Cela me donne ma mélodie principale. Après je construis tout le morceau autour de ça, rajoute des instruments, d’autres samples, etc… jusqu’à atteindre un joyeux bordel!

Ta philosophie est de proposer gratuitement ta musique. Que penses-tu des débats autour de l’industrie du disque, de la loi Hadopi ou encore du lobbying des maisons de disques sur le téléchargement illégal?
Alors ça je pourrais t’en parler des heures! J’ai même participé une fois à un débat avec des gars de la SACEM, un patron d’une maison de disques et d’autres types de l’industrie du disque lors d’un apéro rencontre… J’étais le vilain petit canard tu sais! Ils me mettaient tous l’étiquette du gars qui ne sait pas ce qu’il fait, mélangé avec l’étiquette du type qui a causé la chute du marché! C’était marrant…!
La loi Hadopi, c’est juste une loi faite par des gens qui n’ont rien compris au changement, couplé par une atteinte à l’expression artistique, une loi crée entre amis fortunés, pour leur sauver leurs fesses! Au final tu sais, cette loi n’aidera pas les artistes qui se plaignent: les gros, Obispo & Cie… C’est à cause d’eux s’ils ne vendent plus de CD… Ils feraient un peu moins de soupe, vendue qui plus est à 20 euros le CD… Ils en vendraient peut-être plus… Tu sais moi je télécharge beaucoup, mais j’achète beaucoup également… Et ça a été prouvé par des études, ceux qui téléchargent achètent aussi… Moi j’écoute environ 2 nouveaux albums chaque semaine… Je ne peux pas tout acheter, mais quand je tombe sur un truc, bah je vais au magasin, et je paye le CD! Mais le vrai CD, pas un amas de fichiers mp3, sans pochette, que tu payes 10 euros! C’est du foutage de gueule ça! Ils n’ont pas compris que le système change, le mode de diffusion aussi, le public aussi… Beaucoup d’artistes l’ont compris! Sans internet, beaucoup seraient encore inconnus! Personnellement, je pourrais pas connaître 20% de ma CDthèque s’il avait fallu que j’achète tout! Et quand tu mets 15 ou 20 euros dans un CD, et que c’est une daube, tu te dis : ‘J’aurais du le télécharger avant de l’acheter, voir s’il était bien!. Tu me suis?
Un autre point, la SACEM! Prenons mon exemple… Si j’étais inscrit à la SACEM, même si je diffuse mon album gratuitement, il faudrait que je donne une part pour chaque téléchargement (0,15 centimes d’euros je crois). Tu calcules, j’ai eu environ 18000 téléchargements pour mon dernier album! Au final, c’est l’artiste qui paye pour qu’on le télécharge gratuitement! Si ça c’est pas la preuve qu’ils ont un train de retard… Enfin non, pas un train, c’est une gare toute entière…!

T’es-tu déjà essayé à la scène? Des dates sont-elles prévues?
Non pas de scène, jamais essayé avec le projet Degiheugi… Et pas les moyens de mettre un truc efficace en route… J’ai pas envie de liver, juste en appuyant sur 4 boutons sur un clavier caché derrière l’écran de mon portable… On m’en propose souvent, je refuse tout le temps… C’est long à mettre en place un bon live, et je manque de temps pour ça, et aussi d’argent pour m’acheter le matériel adéquat…

Sur quel projet travailles-tu pour le moment?
Je bosse actuellement sur mon prochain album, et également sur le prochain album de Skap’1 dont je dois produire 4 ou 5 morceaux. Mais ça avance pas bien vite, en ce moment, il y a des bouleversements dans ma vie qui font que j’ai un peu moins de temps pour ça, disons au moins pour les 3 prochains mois. 2010, je devrais reprendre sérieusement du service!

L’été et la saison des festivals ‘outdoor’ tire à sa fin, y-a-t-il des concerts auxquels tu as assisté dans ta vie que tu retiens en particulier?
Le concert d’IAM aux Vieilles Charrues était grandiose, même eux étaient sur le cul de voir autant de monde… La première fois que j’ai vu Birdy Nam Nam aussi, j’ai vraiment adoré. One Self, Gangstarr étaient aussi de grands moments! Voir DJ Premier en ‘vrai’ c’était énorme!

J’ai pu lire que tu appréciais découvrir des lieux inconnus, quelles sont tes dernières excursions en date? Qu’en retiens-tu?
Mon dernier voyage était en Tunisie, ce que j’ai retenu c’est surtout l’effroyable contraste entre les hôtels tous luxueux et la réalité du quotidien des gens là bas… Mais il y a vraiment des paysages magnifiques, des endroits désertiques presque lunaires d’aspect, j’ai vraiment beaucoup aimé.

Un grand merci à Degiheugi pour sa disponibilité et sa sincérité.